Le droit à la preuve, permettant à tout justiciable de produire des éléments devant le juge, n’est pas absolu. Toutes les preuves ne sont pas recevables. Traditionnellement, en matière civile, les preuves obtenues à l’insu d’une personne ou à l’insu d’une personne en usant de manœuvre ou stratagème étaient irrecevables. Un important arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 7 janvier 2011 (09-14.316) précisait à ce titre que « l’enregistrement d’une conversation téléphonique réalisée à l’insu de l’auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve ».
Dès lors, toute demande visant à constater un enregistrement à l’insu de l’auteur des propos tenus devait être refusée par un commissaire de justice.
Cette jurisprudence a été renversée par un arrêt d’Assemblée plénière du 22 décembre 2023 (20-20.648) dans lequel elle considère que « (…) l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. (…)». La recevabilité d’une preuve dite déloyale sera désormais laissée à l’appréciation in concreto des juges du fond. Ceux-ci devront effectuer un contrôle de proportionnalité et de nécessité.
Concernant le contrôle de nécessité, le juge va rechercher si la preuve dite déloyale permet à la partie qui l’invoque de fonder sa prétention, et, va vérifier si ce résultat ne peut pas être obtenu à l’aide des autres preuves produites. Puis, si le juge considère que cette preuve est nécessaire, il effectuera un contrôle de proportionnalité. Le juge va s’assurer que l’atteinte aux droits, souvent ceux relatifs à la vie privée de l’autre partie n’est pas excessive. Ainsi, selon Emilie Maurel, la question sera « Pouvait-on, par des moyens moins attentatoires, fournir une preuve tout autant déterminante ? »[1]
Dès lors, l’enjeu relatif à l’admission des preuves déloyales sera de déterminer si l’atteinte aux droits opposés est nécessaire et proportionnée au but poursuivi.
Cet arrêt ne précise pas le rôle du commissaire de justice dans la production d’une preuve dite déloyale. Dans une note publiée le 2 février 2024 par la Chambre nationale des commissaires de justice, intitulée « Revirement de jurisprudence intéressant la profession : Un commissaire de justice peut-il dresser un constat d’une preuve obtenue de manière déloyale ou illégale par son mandant à l’encontre d’un tiers ? »[2], la situation semble clarifiée. Un commissaire de justice ne peut en aucun cas participer activement à l’organisation d’un stratagème ou à la commission d’un acte déloyal. Néanmoins, il pourra dresser le constat d’une preuve déloyale à certaines conditions soulignées par la Chambre. Tout d’abord, face à une telle preuve, il devra avertir son client du risque de rejet de celle-ci, puis préciser dans le procès-verbal de constat dans quelles conditions il a pris connaissance de ladite preuve.
De plus, la chambre préconise aux commissaires de justice de ne constater que les preuves obtenues passivement, c’est à dire sans ruse.
Les commissaires de justice seront donc confrontés à de nouvelles demandes face auxquelles ils devront être prudents. Ces demandes concerneront sans doute très largement des enregistrements obtenus à l’insu de la personne ayant tenu les propos à constater.
[1] Emilie Maurel, Nécessité et proportionnalité : illustration par la Cour de cassation en matière de preuve illicite ou déloyale, 1er février 2024, Dalloz actualité
[2]Chambre nationale des commissaires de justice, « Constat de preuve obtenue de manière déloyale ou illégale », Revirement de jurisprudence intéressant la profession : Un commissaire de justice peut-il dresser un constat d’une preuve obtenue de manière déloyale ou illégale par son mandant à l’encontre d’un tiers ?, 2 février 2024, accessible en ligne : https://eye.news.commissaire-justice.fr/m2?r=wAXNBiu4NWE3YzJmMTJiODViNTMzZTlhNjg3OGJkxBDQ3kZratCx8U7Q3NCHWNCcS0EtNnG4NjBmODVhNWU5NjliMGY0MzNlYzU4MThjuW1sZXJveUBzZWRsZXgtaHVpc3NpZXIuZnKg3AAetjFfLVlYYkllUWlDdG81RExhbkpFc3emTEUgUk9ZtjMtbVlwQ1JoUjRtR2pha0pXMjh3b3egtkNDRzl2VzA0U1lpaW9wOWJxbVVLWXegq0NJVklMSVRZX0lEoKpDT05UQUNUX0lEtlFWTUJPSjJCU2hhUTREQnB3bmxxLVGzRU1BSUxfQ09SUkVDVElPTl9JRKC2RXBXQXc4SjdSMXlmRklMUlZtWUQ2UaC2RjdQbDV1OXhRQm1RZlJwYjhzSC12UaC2SzV2bkI1cWNURG11WHJBUjR2MC1wUaC2SzlrSEtwSmlRYlNWTEZnRXE5bWNpUaC2S1lYRGM2RENSLXl6QmdDclBhOWMwd6C2S3QteHIyWF9SYUtGVUFCYnVjY0s3Z6C2TENuNldHQUpTQ0tEcS1zdU5laEJuUaC2TFVrX0JWMmdSUHF6UjMtZjZjeXFjUaCxT1JJR0lOX0NBUFRJT05fSUSxSHVpc3NpZXJzIDEyXzIwMjKuT1JJR0lOX0tJTkRfSUSkTElTVLNQSE9ORV9DT1JSRUNUSU9OX0lEoLZRY0E2dzBMM1NRQ01oeHAxeEhYcUhRoKhTVEFURV9JRKZOT1JNQUy2VVNSN1JVc3dRTGFFR2pVcHNXaldrQaC2VjBoNmtiRVNSaXk3LU5HOG9Na3Q2QaC2VmNiUkxHYkJRU1dmOWVUZmxYMFZoUaC2WHVhTG5ZbURTTGFCZmp3VTNOTUExUaC2YXRfVUlyekJSWFdjVkd4OHh1VzJSUaC2Y1RuclhsaDNTazZsWC1ERDlCT2hsZ6C2ZC1mdlVYMkpURFN2em12SldZaGk2QaC2aUdEMjRVYWVRNC1OX3FMdi1yNEhvQaC2aWVHMkwzLW9RTjZsYm1ZakN6Wld5Z6C2anJscWpIU21TblN0ZmdnUi1qTkR2d6C2a2hJZklMSmtTeEd0VFdUS2tfYjFZQaC2VmxZTVFIOUZURGkwZmJLT2lTbi1qUaA=