Exécution provisoire : un nouveau régime depuis le 1er janvier 2020

  • Exécution forcée

Un principe de l'exécution provisoire de droit pour toute décision de justice de première instance est instauré avec une exception, l'exécution provisoire facultative. Les modalités de la mise en oeuvre de la sanction du défaut d'exécution sont précisées.

 

Pris en application de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de réforme pour la justice, le décret du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile aborde et modifie en profondeur un certain nombre de thèmes. Parmi les principaux, l?unification des modes de saisine, la simplification des exceptions d?incompétence, l?extension de la représentation obligatoire (v.  « Réforme de la procédure civile : ce qui change au 1er janvier 2020 ») et la consécration du principe de l?exécution provisoire des décisions de justice (D. n° 2019-1333, 11 déc. 2019, art. 3 : JO, déc.). C?est sur ce dernier sujet que le présent commentaire concentre son attention.

En effet, l'article 3 du décret du 11 décembre 2019 provoque un bouleversement important dans le régime de l?exécution provisoire qui devient la règle pour toute décision de justice de première instance. Pour bien en mesurer la portée, il convient tout d?abord de rappeler les traits généraux de l?exécution provisoire, ainsi que le régime juridique qui lui est applicable jusqu?au 31 décembre 2019. Cette présentation permettra de mieux appréhender les nouvelles règles qui régiront son fonctionnement au 1er janvier 2020.
Les dispositions du décret sont entrées en vigueur dès le 1er janvier 2020. Toutefois, celles concernant l?exécution provisoire ne sont pas applicables aux instances en cours à cette date, mais seulement aux instances introduites depuis le 1er janvier 2020.
Instauration du principe de l?exécution provisoire de droit
 
Le nouvel article 514 du code de procédure civile énonce que les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n?en dispose autrement (C. pr. civ., art. 514, mod. par D., art. 3, 2°). Autrement dit, l?exécution provisoire de droit s?applique, sauf si la loi en dispose autrement, si le juge qui rend la décision en première instance use du droit qui lui est reconnu par la loi de l?écarter, si le juge d?appel ou d?opposition dans les conditions prévues par la loi décide de l?écarter. La loi opère donc un renversement de principe. L?exécution provisoire est attachée en principe aux décisions de première instance. Il s?agit de l?exécution provisoire de droit. D?ailleurs, cette règle est confortée par le fait que l?appel et l?opposition ne constituent plus des recours suspensifs, selon les nouvelles dispositions de l?article 514-3 du code de procédure civile. Mais le nouveau principe ne présente pas toujours la même force : tantôt il revêt un caractère absolu, tantôt il est possible, sous certaines conditions, d?écarter finalement le caractère exécutoire de la décision.

Caractère absolu de l?exécution provisoire de droit

 
Il est des cas où le code de procédure civile écarte toute possibilité pour le juge de retirer à une décision l?exécution provisoire dont elle est pourvue de droit. Aussi, le juge ne peut pas écarter l?exécution provisoire de droit lorsqu?il statue en référé, qu?il prescrit des mesures provisoires pour le cours de l?instance, qu?il ordonne des mesures conservatoires ainsi que lorsqu?il accorde une provision au créancier en qualité de juge de la mise en état (C. pr. civ., art. 514-1, al. 3, mod. par D., art. 3, 2°). Dans les domaines ci-dessus énoncés, l?exécution provisoire de droit attachée aux décisions de première instance n?est jamais susceptible d?être remise en question par le juge. La loi retire expressément ce pouvoir au juge.
Cas où l'exécution provisoire de droit peut être écartée
Le juge, dans la décision de première instance qu"il rend, peut écarter l?exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s'il estime qu'elle est incompatible avec la nature de l?affaire. En ces cas, il statue, d?office ou à la demande d?une partie, par décision spécialement motivée (C. pr. civ., art. 514-1, al. 1er et 2, mod.). En présence d?une exécution provisoire de droit et en dehors des cas où elle ne peut être évincée, il revient donc aux parties à un procès de solliciter expressément qu?elle soit écartée par le juge. A défaut, il faudra compter sur l?initiative personnelle du magistrat pour pouvoir atteindre un tel résultat. Le juge doit alors constater que l'exécution provisoire est « incompatible avec la nature de l?affaire ». Il s?agit d?une notion assez souple pour autoriser le juge à statuer avec une grande liberté. Mais il lui revient alors de motiver spécialement sa décision. Cette même notion existait sous l?empire de la réglementation antérieure. La jurisprudence devrait donc appliquer les mêmes critères (v. l?étude dans le Dictionnaire).
L?exécution provisoire de droit ne peut être écartée que par la décision en cause (C. pr. civ., art. 514-2, mod.). En dépit de cette règle, le code de procédure civile réserve néanmoins la possibilité de pouvoir arrêter l?exécution provisoire de la décision de première instance en cas d?appel ou d?opposition (C. pr. civ., art. 514-3, mod.).

Cas où l'exécution provisoire de droit peut être arrêtée

 
En cas d'appel, le premier président peut être saisi afin d?arrêter l?exécution provisoire de la décision (C. pr. civ., art. 514-3, mod.). Il statue en référé, par une décision non susceptible de pourvoi (C. pr. civ., art. 514-6, mod.). Deux situations doivent alors être distinguées car elles obéissent à des règles différentes.
La première situation correspond au cas où la partie qui saisit le premier président a déjà formulé des observations devant le premier juge pour que soit écartée l?exécution provisoire, mais en vain (C. pr. civ., art. 514-3, al. 1er, mod.). Deux conditions cumulatives sont alors requises pour que la demande d?arrêt de l?exécution provisoire soit recevable. Il est nécessaire à la fois : qu?il existe un moyen sérieux d?annulation ou de réformation (remise en cause du fondement de la décision assortie de l?exécution provisoire) et que l?exécution risque d?entraîner des conséquences manifestement excessives (remise en cause des conséquences de l?exécution de la décision critiquée).
La seconde situation renvoie à la situation où le demandeur qui sollicite l?arrêt de l?exécution provisoire n?a pas fait valoir d?observations devant le juge qui a rendu la décision assortie de l?exécution provisoire (C. pr. civ., art. 514-3, al. 2, mod.). Dans ce cas, la demande d?arrêt de l?exécution provisoire n?est recevable que si deux conditions cumulatives sont réunies, à savoir : il existe un moyen sérieux d?annulation ou de réformation et l?exécution provisoire risque d?entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement à la décision de première instance.

Demande de rétablissement de l'exécution provisoire

 
Lorsque l'exécution provisoire de droit a été écartée en tout ou partie, son rétablissement peut être sollicité (C. pr. civ., art. 514-4, mod.). Dans ce cas, la demande de rétablissement de l?exécution provisoire doit être portée exclusivement, soit devant le premier président, soit, dès lors qu'il est saisi, auprès du magistrat chargé de la mise en état. En outre, trois autres conditions de fond sont exigées pour la recevabilité de cette demande de rétablissement de l?exécution provisoire : la démonstration du caractère urgent de la demande, le rétablissement doit être compatible avec la nature de l?affaire et le rétablissement ne doit pas risquer d?entraîner des conséquences manifestement excessives.
Rejet de la demande tendant à écarter, arrêter ou rétablir l'exécution provisoire
Le rejet de la demande tendant à voir écarter ou arrêter l?exécution provisoire de droit et le rétablissement de l?exécution provisoire de droit peut être subordonné, à la demande d?une partie ou d?office, à la constitution d?une garantie, réelle ou personnelle, suffisante pour répondre de toutes restitutions ou réparations (C. pr. civ., art. 514-5, mod.). Le juge peut, à tout moment, autoriser la substitution à la garantie primitive d?une garantie équivalente (C. pr. civ., art. 522, mod.).
En cas d?opposition, le juge qui a rendu la décision peut, d?office ou à la demande d?une partie, arrêter l?exécution provisoire de droit lorsqu?elle risque d?entraîner des conséquences manifestement excessives.

Institution de l'exception de l'exécution provisoire facultative

 
Par dispositions expresses du décret, n?est pas de droit exécutoire à titre provisoire la décision de première instance qui statue sur la nationalité (C. pr. civ., art. 1045, mod. par D., art. 3, 3°), en matière d?annulation et de rectification des actes de l?état civil (C. pr. civ., art. 1054-1, mod. par D., art. 3, 4°), en matière de procédures relatives aux prénoms (C. pr. civ., art. 1055-3, mod. par D., art. 3, 5°), en matière de modification du sexe dans les actes de l'état civil (C. pr. civ., art. 1055-10, mod. par D., art. 3, 6°), en matière de déclaration d?absence (C. pr. civ., art. 1067-1, mod. par D., art. 3, 7°), relative à l'adoption (C. pr. civ., art. 1178-1, mod. par D., art. 3, 10°).
S'agissant du juge aux affaires familiales, le nouvel article 1074-1 du code de procédure civile pose le principe que les décisions du juge aux affaires familiales qui mettent fin à l?instance ne sont pas, de droit, exécutoires à titre provisoire. Toutefois, par exception, sont exécutoires à titre provisoire les mesures portant sur l'exercice de l'autorité parentale, la pension alimentaire, la contribution à l?entretien et l'éducation de l?enfant, la contribution aux charges du mariage et les dix mesures prises en application de l'article 255 du code civil.
Lorsqu?il est prévu par la loi que l?exécution provisoire est facultative, elle peut être ordonnée, d?office ou à la demande d?une partie, chaque fois que le juge l?estime nécessaire et compatible avec la nature de l?affaire. Le juge peut l?ordonner pour tout ou partie de la décision (C. pr. civ., art. 515, mod.). L?exécution provisoire ne peut en principe être ordonnée que par la décision qu?elle est destinée à rendre exécutoire, sous réserve des dispositions des articles 517-2 et 517-3 (C. pr. civ., art. 516, mod.).. Elle peut être subordonnée à la constitution d?une garantie, réelle ou personnelle, suffisante pour répondre de toutes restitutions ou réparations (C. pr. civ., art. 517, mod.)..
Lorsque l?exécution provisoire a été ordonnée, elle ne peut être arrêtée, en cas d?appel, que par le premier président et dans l?un des deux cas suivants : si elle est interdite par la loi et lorsqu?il existe un moyen sérieux d?annulation ou de réformation de la décision et que l'exécution risque d?entraîner des conséquences manifestement excessives. Le même pouvoir appartient, en cas d'opposition, au juge qui a rendu la décision lorsque l?exécution risque d?entraîner des conséquences manifestement excessives (C. pr. civ., art. 517-1, mod.). Lorsqu'elle a été refusée, elle ne peut être demandée, en cas d?appel, qu?au premier président ou, dès lors qu'il est saisi, au magistrat chargé de la mise en état et à condition qu'il y ait urgence (C. pr. civ., art. 517-2, mod.). Lorsqu'elle n'a pas été demandée, ou si, l'ayant été, le juge a omis de statuer, elle ne peut être demandée, en cas d'appel, qu'au premier président ou, dès lors qu?il est saisi, au magistrat chargé de la mise en état (C. pr. civ., art. 517-3, mod.).

Maintien de la sanction attachée au défaut d'exécution

 
Le code de procédure civile prévoyait déjà la sanction de la déchéance de l'appel en cas de refus d'exécution de l'appelant de la décision de première instance. Les nouvelles dispositions confirment cette sanction en apportant des précisions complémentaires sur les modalités de mise en oeuvre de cette sanction. Ainsi, lorsque l?exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, le premier président ou, dès qu?il est saisi, le conseiller de la mise en état peut, en cas d'appel, décider, à la demande de l'intimé et après avoir recueilli les observations des parties, la radiation du rôle de l'affaire lorsque l?appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d'appel ou avoir procédé à la consignation autorisée dans les conditions prévues à l?article 521 du code de procédure civile. Une telle radiation ne sera néanmoins pas prononcée lorsque le juge constate que l'exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l'appelant est dans l'impossibilité d'exécuter la décision (C. pr. civ., art. 524, mod.).


Emmanuel Cordelier, Maître de conférences des universités, avocat à la cour




 D. n° 2019-1333, 11 déc. 2019, art. 3 : JO, déc.