Conséquences de l'exécution du titre exécutoire provisoire ultérieurement annulé

  • Exécution forcée

La cassation d'un arrêt exécuté, même rendu en matière de référé, ne peut donner lieu qu'à restitution, elle ne permet pas d'engager la responsabilité du créancier qui a fait exécuter l'arrêt.

 

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation rappelle, au visa de l’article L. 111-11 du code des procédures civiles d’exécution, qu’en matière civile, le pourvoi en cassation n’empêche pas l’exécution de la décision attaquée. Cette exécution ne peut donner lieu qu’à restitution en cas de cassation et d’annulation de la décision, même si celle-ci est rendue en référé. Elle ne peut en aucun cas être imputée à faute.
En l’espèce, un litige oppose un bailleur à une société exploitant un local commercial loué pour une activité de petite restauration. A la suite d’impayés de loyers, le bailleur saisit le juge des référés d’une demande de résiliation du bail et expulsion de la société locataire. Après avoir été débouté de sa demande en première instance, il obtient l’infirmation de la décision par une première cour d’appel qui, tout en constatant la résiliation du bail commercial, ordonne l’expulsion de la locataire dans les 2 mois de la signification de l’arrêt et la condamne au paiement d’une indemnité d’occupation égale au montant du loyer. Après signification de l’arrêt, le bailleur fait délivrer un commandement de quitter les lieux. Mais, sur premier pourvoi, la Cour de cassation casse, quelques mois plus tard, l’arrêt de la cour d’appel et renvoie les parties devant la même cour d’appel, autrement composée. Par arrêt, devenu irrévocable suite au rejet du second pourvoi, la cour d’appel de renvoi confirme la première ordonnance de référé déboutant le bailleur de sa demande de résiliation de bail et d’expulsion de la locataire.
L’état de cessation des paiements de la locataire ayant motivé, entre-temps, l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire, puis sa mise en liquidation judiciaire, le liquidateur judiciaire saisit un juge de l’exécution aux fins d’indemnisation du préjudice résultant de son départ des lieux ensuite de l’exécution forcée de l’arrêt de la cour d’appel, sur le fondement de l’article L. 111-10 du code des procédures civiles d’exécution. Débouté par le premier juge, il obtient une décision infirmative de la cour d’appel qui retient, au contraire, la responsabilité du bailleur et le condamne, en conséquence, à payer au liquidateur judiciaire, une provision à valoir sur la réparation du préjudice tout en ordonnant une mesure d’expertise aux fins d’évaluer le préjudice subi du fait de l’exécution forcée de l’arrêt d’appel, ultérieurement censuré. La cour d’appel retient que le bailleur a fait procéder, à ses risques et périls, à l’exécution forcée d’une décision qui n’était pas passée en force de chose jugée et qui a été annulée par un arrêt de cassation ultérieur. La cour rappelle que l’action en indemnisation est fondée sur les dispositions de l’article L. 111-10 du code des procédures civiles d’exécution alors que l’arrêt d’appel a été rendu en matière de référé et non au fond et donc constituait seulement un titre exécutoire provisoire. Dès lors, l’article L. 111-11 du même code, qui limite les conséquences de la cassation d’un arrêt d’appel à la seule restitution sans engagement d’aucune faute, ne s’applique qu’à une décision rendue au fond et non au titre exécutoire provisoire.
Sur pourvoi, le demandeur invoque, au titre d’un moyen unique, que le pourvoi en cassation n’empêche pas l’exécution de la décision attaquée, mais que cette exécution ne peut donner lieu qu’à restitution sans engagement de responsabilité. En retenant la responsabilité du bailleur dans l’exécution forcée d’un arrêt d’appel censuré ensuite, au motif inopérant que cet arrêt constitue un titre exécutoire provisoire et non une décision au fond, la cour d’appel a violé l’article L. 111-10 du code des procédures civiles d’exécution par fausse application et l’article L. 111-11 du même code par refus d’application.
Cet argument emporte logiquement la conviction des juges de la deuxième chambre civile qui cassent, en toutes ses dispositions, l’arrêt d’appel rendu et renvoient les parties pour être jugées par une autre cour d’appel.


Françoise Perret-Richard, Maître de conférences à l'université de Saint-Etienne




 Cass. 2e civ., 31 janv. 2019, n° 17-28.605, n° 142 P + B