Chronique N°4 : La prescription dans l'exécution forcée

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            Je suis mandatée ce jour par l'un de mes clients réguliers, une société de recouvrement de créance afin de procéder au recouvrement forcé sur un dossier datant de 2006.

 

            Le gestionnaire de ladite société m'informe qu'il souhaite que je diligente au plus vite une enquête FICOBA, puis une procédure de saisie-attribution.

 

Comment appréhender un tel dossier ?

 

            J'intègre donc la totalité de mon dossier, Titre et actes de procédures. Je reprends l'historique complet afin d'entreprendre une démarche de recouvrement adaptée au dossier.

 

L'historique du dossier :

 

            La débitrice Madame X a contracté un crédit à hauteur de 25 000 euros auprès d'une banque très connue en 2000. Le contrat précisait à l'époque un certain nombre de points notamment un échéancier précis comportant les frais d'assurance et les intérêts attenants à ce crédit. D'autres clauses venaient préciser les pénalités de retard en cas de non-paiement.

 

            Après avoir enregistré plusieurs difficultés de trésorerie, Madame X avait arrêté de régler ses échéances auprès de la banque. Suite à plusieurs courriers de relances, la banque a été dans l'obligation de prononcer la déchéance du terme ce qui entraîne inévitablement la résiliation du contrat de prêt et une exigibilité de la totalité des sommes restant dues en principal avec les intérêts.

 

            La banque a décidé d'assigner en paiement afin d'obtenir la condamnation de son ancienne cliente. Elle a obtenu le 20 avril 2006 un Jugement réputé contradictoire en premier ressort qui prononce la condamnation définitive de Madame X. Le jugement a été régulièrement signifié par voie d'Huissier. Madame X n'ayant pas exercé de voie de recours ordinaire suite au prononcé de la décision, celle-ci est devenue irrévocable.

 

            Après obtention de cette décision favorable, la banque relance à plusieurs reprises la débitrice à l'amiable avant de classer son dossier sans y donner suite. En 2015, cette banque décide de céder un portefeuille de créances à une société de recouvrement. Seules quelques démarches amiables sont entreprises.

 

Quels sont les conseils à apporter ?

 

            En tant qu'officier public ministériel, l'Huissier de justice à un devoir de recherche, d'analyse et de conseil juridique vis-à-vis de son client. Le premier réflexe est celui de constater le caractère liquide et exigible ou non de sa créance. Reprenons les dispositions légales applicables en la matière.

 

            L'article L. 111-2 du Code de procédure civile d'exécution pose un principe incontournable, le créancier doit être muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible pour poursuivre l'exécution forcée sur les biens personnels de son débiteur. L'article L.111-4 du Code de procédure civile d'exécution issue de la loi du 17 juin 2008 précise que « l'exécution des titres exécutoires ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long[1] ». La prescription décennale touche notamment, les décisions des juridictions de l'ordre judiciaire ou de l'ordre administratif, les accords auxquels ces juridictions ont conféré la formule exécutoire, les extraits de procès-verbaux de conciliation signés par le juge et les parties, les jugements étrangers et les sentences arbitrales exécutoires, les actes reçus par les officiers publics étrangers et exécutoires.

 

            Ce délai court à compter du jour où le créancier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer le droit, il s'agit notamment du jour du prononcé du jugement. Ce délai peut être interrompu par un acte d'exécution forcé[2], prenant la forme d'une saisie-vente, appréhension, attribution intervenant en matière mobilière ou immobilière. Ce délai peut également être interrompu par une reconnaissance de dette prenant la forme d?une déclaration à la Banque de France donnant lieu à un plan de surendettement ou une demande de remise de dette au créancier[3]. La reconnaissance, bien que partielle, peut avoir un effet interruptif pour l'ensemble de la créance[4]. Les effets de l'interruption demeurent assez simples puisque le même délai recommence à courir[5].

 

            Le Jugement condamnant Madame X date du 20 avril 2006. Suite à son prononcé, il est précisé que la banque est restée sur des démarches amiables, jusqu'à la signature du contrat de cession de créances ayant eu lieu en 2015. Ce n'est qu' aujourd'hui que le dossier est confié à une Étude pour exécution. Cela ramène le temps écoulé à 14 ans entre le prononcé du Jugement et l'exécution forcée du jugement. Tenant compte des dispositions de l?article L.111-4 du Code de procédure civile d'exécution, il n'est pas possible de procéder à l'exécution forcée à l'encontre du débiteur.

 

            Je propose donc à mon client de procéder à un recouvrement amiable ou simplement de lui retourner le dossier en l'état.

 

Conclusion :

 

            Bien que le gestionnaire considère qu'il est en possession d'un titre exécutoire, aucune poursuite ayant interrompu la prescription en cours n'a été engagée. L'action en exécution forcée du titre obtenu est donc définitivement éteinte.

 

            Si l'Huissier de Justice décide d'outrepasser les dispositions relatives à la prescription décennale, et qu'il procède à une saisie-attribution sur la base d'un titre exécutoire prescrit, il engage sa responsabilité en tant que signataire de l'acte et celle de son Étude.

 

            Le débiteur serait parfaitement fondé à former une contestation relevant de la compétence du Juge de l'exécution du lieu ou demeure le débiteur[6]. D'ailleurs, le délai d'un mois de  contestation court a compté de la dénonciation de la saisie[7]. Le juge face à une telle situation n'aurait d'autre choix que d'annuler la saisie effectuée ce qui entraînera la mainlevée. Sa décision est exécutoire sur minute[8].

 

            Le débiteur peut également obtenir diverses condamnations financières à l'encontre du créancier négligent ainsi que de l'Étude ayant délivré les actes.



[1] Art. L. 111-2 du Code de procédure civile d?exécution

[2] Art. 2244 du Code civil.

[3] BENABENT A., Droit des obligation, 15e éd., LGDJ, Coll. LEXTENSO, 2018, page 671 ; Com., 31 octobre 2006, Bull. civ., IV, n°212.

[4] BENABENT A., Droit des obligation, 15e éd., LGDJ, Coll. LEXTENSO, 2018, page 671 ; Ass. Plén., 27 juin 1969, JCP 1969. II. 16029.

[5] Civ., 3e, 11 janvier 1995, Bull. civ. III, n°10 ; Com., 15 novembre 1994, Bull. civ., IV, n°342.

[6] Art. R. 211-10 du Code de procédure civil d?exécution.

[7] Art. R. 211-11 du Code de procédure civil d?exécution.

[8] Art. R. 211-12 al. 1 du Code de procédure civil d?exécution.