Expulsion : le droit de propriété prime le droit au respect du domicile

  • Exécution forcée
  • Immobilier
  • Propriété

Lorsque l'expulsion est la seule mesure permettant au propriétaire de recouvrer son droit sur un bien, l'ingérence qui en résulte sur le droit au domicile ne peut être disproportionnée eu égard à la gravité de l'atteinte portée au droit de propriété.

La Cour de cassation, dans un arrêt de principe, réaffirme la prééminence du droit de propriété vis-à-vis du droit au respect du domicile. En effet, le droit de propriété, droit dit de première génération, doit être considéré comme la condition et la garantie des libertés individuelles.
En l’espèce, les occupants d’un terrain, sur lequel ils ont fait construire une maison, engagent une procédure pour en revendiquer la propriété par prescription trentenaire. Leur demande ne prospère pas et la procédure aboutit en appel à leur condamnation à démolir la maison et à quitter les lieux. Il est à noter, pour comprendre le contexte, que durant la procédure l’épouse est décédée, que le mari, resté seul, est âgé de 87 ans et que le couple occupait les lieux depuis plus de 20 ans.
L’occupant se pourvoit en cassation, en invoquant l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui dispose que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Pour le demandeur à la cassation, l’ingérence dans ce droit au domicile doit demeurer proportionnée au but légitime poursuivi. Selon lui, pour apprécier la proportionnalité de la perte d’un logement, qui est l’une des atteintes les plus graves au droit au respect du domicile, il y a lieu de tenir compte notamment de l’ancienneté de l’occupation des lieux et de la situation particulière de la personne concernée, qui commande une attention spéciale si elle est vulnérable. Ce qui pour lui était le cas en l’espèce.
Pour rejeter cette argumentation, la Cour de cassation se fonde sur l’article 544 du code civil, selon lequel la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements, et sur l’article 545 du même code, selon lequel nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité. Elle précise que ces textes visent à garantir au propriétaire du terrain le droit au respect de ses biens, protégé par l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et par l’article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
La Cour de cassation en conclut, pour rejeter le pourvoi, que l’expulsion et la démolition sont les seules mesures qui permettent au propriétaire de recouvrer la possession de son bien, l’ingérence qui résulte de cette condamnation ne saurait être disproportionnée eu égard à la gravité de l’atteinte portée au droit de propriété.



Jean-Yves Borel, Conseiller scientifique Dictionnaire permanent Recouvrement de créances et procédures d'exécution




 Cass. 3e civ., 17 mai 2018, n° 16-15.792, n° 475 P + B + R + I





Études concernées

 Expulsion